La famille d’Aliénor d’Aquitaine

Par Katy Bernard, Maître de Conférences d’occitan, Université Bordeaux Montaigne

Enluminure datant du XIIIème siècle et représentant Guillaume IX d’Aquitaine, grand-père d’Aliénor d’Aquitaine.

Ses parents et ses grands-parents

Aliénor naquit de l’union de Guillaume X d’Aquitaine et d’Ainor (ou Aénor) de Châtellerault. Elle est leur première née. Cependant, ni la date ni le lieu exact de cette naissance ne sont parvenus jusqu’à nous. On suppose qu’Aliénor vit le jour en 1122 ou 1124 à Belin-Beliet, dans le bordelais, ou à Bordeaux même ou peut-être encore à Nieul-sur-l’Autise, en Vendée, où se trouve l’abbaye dans laquelle Ainor de Châtellerault repose. De l’union de Guillaume X et d’Ainor, naquirent deux autres enfants : Pétronille et Guillaume Aigret.

Bien que n’étant pas le premier né, c’est Guillaume Aigret, en sa qualité de garçon, qui aurait dû hériter des terres de son père. Mais sa mort, survenue alors qu’il était encore en bas âge, en décida autrement. Aliénor, l’aînée, fut désignée par son père comme son héritière au moment où il vit que la mort venait le chercher, il n’avait que 38 ans. Il se rendait à Saint-Jacques-de-Compostelle. C’est là qu’il repose. C’est à son suzerain le roi de France, Louis VI le Gros, qu’il avait confié sa fille aînée et sa cadette, Pétronille. Guillaume X demandait aussi au roi de France de trouver un époux à son héritière.

C’est ainsi que l’héritier de la couronne de France, Louis, épousa Aliénor le 25 juillet 1137, environ quatre mois après la mort de Guillaume X, en la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Aliénor avait 13 ou 15 ans. Elle incarnait la puissante Aquitaine, celle de son père bien sûr, qui finira par être célébré comme saint, mais aussi celle de son grand-père, mort vers 1126. Guillaume IX d’Aquitaine est le premier troubadour connu. Il est le modèle même des grands seigneurs-poètes. Il fit par ailleurs plusieurs fois scandale au cours de sa vie  ̶  il vécut 54 ans  ̶ , notamment lorsqu’il entretint une liaison adultère avec la femme d’un de ses vassaux : Dangereuse (ou Amauberge) de l’Isle-Bouchard, épouse du vicomte Aimery Ier de Châtellerault.

Pour elle, Guillaume le Troubadour composa sans doute les chansons qui sont, faute de traces antérieures, la première manifestation de la fin’amor, plus connue sous le nom d’amour courtois. Pour elle, il répudia celle qui avait été son épouse pendant quelque vingt ans, Philippa de Toulouse. Il fut excommunié. Quelle qu’ait été l’opinion de la société de son temps, le duc installa la vicomtesse en son palais de Poitiers mais il ne put l’épouser. C’est de cette liaison entre le duc et sa vassale que fut décidé le mariage de Guillaume X et d’Ainor. Guillaume X était le fils légitime de Guillaume IX et de Philippa. Ainor était la fille légitime de Dangereuse et d’Aimery. Malgré l’affront, ce mariage fut une belle compensation pour Aimery, son lignage montait singulièrement en grade.

Ses maris et ses enfants

Du mariage d’Aliénor et de Louis VII, naquirent deux filles : Marie de Champagne et Alix (ou Aélis) de Blois.

Marie qui devint, par son mariage avec Henri Ier, comtesse de Champagne naquit en 1145. Marie est notamment célèbre pour avoir présidé à la création du roman de Chrétien de Troyes relatant les amours de Lancelot et de Guenièvre : Le Chevalier de la Charrette.

Alix qui devint, par son mariage avec Thibaut V, comtesse de Blois naquit en 1150, deux ans avant la séparation de ses parents.

On peut, par bien des aspects, qualifier les naissances de ce premier mariage de « miraculeuses ». La naissance de Marie vient huit ans après le mariage de Louis et d’Aliénor et dans un contexte délicat pour le roi et la reine de France. Ces derniers sont en guerre, depuis 1141-1142, avec un de leurs plus puissants vassaux : Thibaut, IVe comte de Blois et IIe comte de Champagne (le père de ceux qui deviendront les époux de Marie et d’Alix). Dans ce contexte déjà difficile, Aliénor porte en outre le poids de la culpabilité de ne pas avoir donné d’héritier à la couronne. Elle aurait fait une fausse couche au début de son mariage, en 1138, et depuis il n’y avait pas eu d’autres signes de grossesse. En 1144, Aliénor, très inquiète quant à sa capacité d’enfanter, demande à s’entretenir à ce sujet avec une des plus grandes figures religieuses du temps : Bernard de Clairvaux  ̶  Saint Bernard  ̶ . Elle a, à cette époque, 20 ou 22 ans. Dans cet entretien qu’elle obtient avec le saint homme, ce dernier lui aurait dit que si elle intercédait auprès du roi pour établir la paix avec Thibaut, il joindrait ses prières aux siennes pour que Dieu lui accorde d’enfanter. La chose fut faite. Marie arriva l’année suivante…

La deuxième fille de Louis VII et d’Aliénor devait arriver cinq ans plus tard et dans des conditions non moins « miraculeuses ». En 1149, Louis VII et Aliénor reviennent de la deuxième croisade, ils sont partis depuis 1147. Cette croisade n’avait été pour eux qu’une succession d’échecs dont l’épisode d’Antioche, principauté tenue par l’oncle paternel d’Aliénor, Raymond, reste le point d’orgue. C’était en mars 1148. Aliénor avait même manifesté alors, jouant la carte de la consanguinité, son désir de se délier de son mariage avec Louis, ce qui était d’ordinaire l’apanage des hommes. C’est sérieusement en froid que Louis et Aliénor quittent, en avril 1149, les terres d’Orient. Pour rentrer en France, ils passent par l’Italie. Ils font escale chez le pape Eugène III, dans sa résidence de Tusculum, et le pape entreprend de les réconcilier, allant jusqu’à les remarier. Alix naissait dans le courant de l’année suivante. Malgré cette réconciliation papale et cette deuxième naissance, ce mariage ne tiendrait plus très longtemps.

Aliénor et Henri Plantagenêt se rencontrent durant l’été de l’année 1151, à la cour de France. Quelque neuf mois plus tard, l’annulation du mariage de Louis et d’Aliénor est prononcée, le 21 mars 1152, au concile de Beaugency. Aliénor épouse Henri Plantagenêt deux mois plus tard, le 18 mai 1152, en la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers. Elle a 28 ou 30 ans, lui 19. Si, jusque-là, Aliénor avait pu avoir quelque crainte quant à sa capacité d’enfanter, avec Henri, ses craintes durent s’envoler tout à fait.

Représentation du mariage de Louis VII et Aliénor d’Aquitaine extraite des Grandes chroniques de France

Pendant les quinze premières années de leur mariage, en même temps qu’ils construisaient et gouvernaient ce que l’on appelle aujourd’hui l’empire Plantagenêt (constitué essentiellement de l’Angleterre, d’une partie du Pays de Galles et d’une partie de l’Irlande, de la Bretagne et bien sûr de la Normandie et de l’Aquitaine), ils conçurent huit enfants (peut-être y a-t-il eu également un enfant mort-né, ce qui ferait neuf en réalité).

Dès 1153, naissait un premier fils : Guillaume. Henri et Aliénor étaient alors simplement duc et duchesse d’Aquitaine et de Normandie. Malheureusement, Guillaume ne devait pas vivre très longtemps mais beaucoup d’autres enfants suivraient dont des fils, ce qui avait tant manqué à la première union d’Aliénor.

En 1155, alors qu’ils étaient devenus, l’année précédente, roi et reine d’Angleterre, naissait Henri qui resterait dans l’Histoire sous le nom d’Henri le Jeune Roi  ̶  il avait été couronné et par là-même associé au règne de son père, en 1170  ̶  mais il mourut, en 1183, longtemps avant de pouvoir lui succéder.

En 1156, naquit la première fille du couple, Mathilde, qui devint duchesse de Saxe par son mariage avec le duc Henri le Lion. Elle mourut la même année que son père, en 1189.

En 1157, naissait à son tour celui qui resterait à jamais dans l’Histoire comme un grand guerrier et un grand roi et le fils préféré de sa mère, le légendaire Richard. À l’instar de son arrière-grand-père Guillaume IX, Richard incarnait l’image du grand seigneur-troubadour. Des chansons de lui ont été conservées. Richard, très tôt appelé le Cœur de Lion, succéda à son père à la mort de celui-ci en 1189.

En 1158, l’année où Henri II étendait son pouvoir sur une partie du Pays de Galles, naquit Geoffroy. Par son mariage avec Constance, l’héritière du duché de Bretagne  ̶  territoire qu’Henri II mettrait sous sa coupe en 1166  ̶ , il porterait le nom de Geoffroy de Bretagne. Comme ses frères Guillaume et Henri, il devait quitter ce monde bien avant son père. La mort emporta Geoffroy en 1186. Il fut lui aussi un grand seigneur-poète.

En 1161, naquit une autre Aliénor. Elle est connue sous le nom d’Aliénor de Castille dont elle fut la reine jusqu’en 1214, année de sa mort, au côté de son époux le roi Alphonse VIII. Elle fut la seule des filles d’Aliénor d’Aquitaine († 1204) à lui survivre.

En effet, Jeanne, née en 1165, devait mourir la même année que son frère Richard, en 1199. À cette date, Marie de Champagne et Alix de Blois, leurs demi-sœurs, avaient déjà quitté ce monde. Marie en 1198, Alix, vers 1195. Jeanne fut reine de Sicile jusqu’à la mort de Guillaume le Bon, son premier époux, puis devint comtesse de Toulouse auprès de son second et dernier époux, Raymond VI.

Enfin, en 1166, vint Jean, plus connu sous le nom de Jean Sans Terre. Quand Aliénor mit Jean au monde, elle avait 42 ou 44 ans. En 1177, Henri II céda à Jean la couronne d’Irlande qu’il avait conquise l’année précédente. C’est aussi Jean qui, en 1199, à la mort de son frère Richard Cœur de Lion, fut l’héritier de la couronne d’Angleterre et des autres terres de l’empire Plantagenêt (sauf la Bretagne qui était revenue à Arthur, le fils de son frère Geoffroy). Jean mourut en 1216. Il fut le seul des fils d’Aliénor à lui survivre. Mais l’empire tel que l’avait reçu Jean ne survécut pas à la mort d’Aliénor en 1204. Cette année-là, quasiment en même temps que sa mère, Jean perdit la Normandie et Poitiers.

D’Henri II à Jean Sans Terre : des fils sans descendance (légitime) et des petits-enfants écartés de la couronne

Si Richard put succéder à son père, c’est qu’Henri le Jeune Roi était mort sans descendance. Si Jean put succéder à Richard, c’est que ce dernier n’avait pas de descendance légitime (il aurait eu deux fils de deux de ses maîtresses) et que les enfants de Geoffroy, Aliénor et Arthur de Bretagne furent écartés de la couronne d’Angleterre.

Enluminure représentant Thibaut Ier de Navarre, dit « Thibaut le Chansonnier »

Quelques-uns de ses (autres) petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants

Aliénor d’Aquitaine eut en tout une quarantaine de petits-enfants (sans compter les illégitimes : Jean Sans Terre, par exemple, eut 15 enfants de ses maîtresses).

Parmi les enfants de Marie de Champagne, on compte Henri II de Champagne, qui devint roi de Jérusalem, et Thibaut III de Champagne qui succéda à son frère à la tête du comté. Thibaut III de Champagne est le père d’un autre grand seigneur-poète, le trouvère-roi de Navarre, Thibaut IV de Champagne (et Ier de Navarre) dit le Chansonnier.

Parmi les enfants d’Alix de Blois, on compte, par exemple, Adélaïde (ou Alix) qui fut abbesse de Fontevrault et à laquelle sa grand-mère sembla très attachée si l’on en croit les donations qu’elle lui a faites.

Parmi les enfants de Mathilde de Saxe, Othon IV de Brunswick se distingua en devenant empereur romain germanique.

Parmi les enfants d’Aliénor reine de Castille, il y eut Bérengère qui devint reine de León et qui fut la mère de Ferdinand III de León, roi de Castille. Il y eut également Urraca qui devint reine du Portugal et bien sûr Blanche qui devint, grâce au choix de sa grand-mère (elle était en lice avec sa sœur Urraca), cette célèbre reine de France qui enfanta Saint Louis et qui mena d’une main de maître la régence du royaume pendant, notamment, la Croisade contre les Albigeois dont elle contribua à rendre la couronne victorieuse au détriment de son cousin germain, Raymond VII de Toulouse.

Parmi les enfants que Jeanne d’Angleterre donna à son second époux, le comte Raymond VI de Toulouse, il y eut en effet ce Raymond qui lutta avec son père puis sans lui pour conserver le comté de Toulouse au cœur de la tourmente de la Croisade albigeoise.

Enfin, parmi les enfants légitimes que Jean eut avec sa seconde épouse Isabelle d’Angoulême, on compte Henri III qui succéda à son père sur le trône d’Angleterre, à la mort de ce dernier, en 1216. On compte également Jeanne qui devint reine d’Écosse et Isabelle qui devint impératrice et reine au côté de son époux Frédéric II, empereur romain germanique, roi de Sicile.

Après Henri III, le fils de Jean Sans Terre, dix rois Plantagenêt se succédèrent sur le trône d’Angleterre jusqu’à Richard III.

C’est ainsi que le sang d’Aliénor et des siens fut mêlé aux grandes dynasties, européennes principalement, du Moyen Âge.

Pour d’autres détails

ALIÉNOR D’AQUITAINE sous la direction de Martin AURELL, 303, Arts, Recherches et Créations, hors série n° 81, 2004.

AURELL Martin, L’Empire des Plantagenêt 1154-1224, Paris, Éditions Perrin, 2003.

BERNARD Katy, Les mots d’Aliénor, Aliénor d’Aquitaine et son siècle, Bordeaux, éditions confluences, 2015.

DE MASCUREAU Marie-Aline, « Chronologie », Aliénor d’Aquitaine sous la direction de Martin AURELL, 303, Arts, Recherches et Créations, hors série n° 81, 2004, p. 218-223, reprise dans LABANDE Edmond-René, Pour une image véridique d’Aliénor d’Aquitaine, La Crèche, Geste éditions/Société des Antiquaires de l’Ouest, 2004, p. 121-151.

L’EMPIRE DES PLANTAGENÊTS, D’ALIÉNOR À RICHARD CŒUR DE LION, L’Histoire Éditions, n° 59, 2013.

LABANDE Edmond-René, Pour une image véridique d’Aliénor d’Aquitaine, La Crèche, Geste éditions/Société des Antiquaires de l’Ouest, 2004, p. 121-151.

MEDIEVAL LANDS, A PROSOPOGRAPHY OF MEDIEVAL EUROPEAN NOBLE AND ROYAL FAMILIES by Charles CAWLEY, http://fmg.ac/Projects/MedLands/